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[Paul Verlaine]

Dans ces temps fabuleux, les limbes de l'histoire,

Mille et tre
 
[
Mille et tre]

Nocturne parisien

 

 

 

 

Paul Verlaine

Nocturne parisien

À Edmond Lepelletier

Roule, roule ton flot indolent, morne Seine. -
Sous tes ponts qu'environne une vapeur malsaine
Bien des corps ont passé, morts, horribles, pourris,
Dont les âmes avaient pour meurtrier Paris.
Mais tu n'en traînes pas, en tes ondes glacées,
Autant que ton aspect m'inspire de pensées !

Le Tibre a sur ses bords des ruines qui font
Monter le voyageur vers un passé profond,
Et qui, de lierre noir et de lichen couvertes,
Apparaissent, tas gris, parmi les herbes vertes.
Le gai Guadalquivir rit aux blonds orangers
Et reflète, les soirs, des boléros légers.
Le Pactole a son or, le Bosphore a sa rive
Où vient faire son kief l'odalisque lascive.
Le Rhin est un burgrave, et c'est un troubadour
Que le Lignon, et c'est un ruffian que l'Adour.
Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies,
Berce de rêves doux le sommeil des momies.
Le grand Meschascébé, fier de ses joncs sacrés,
Charrie augustement ses îlots mordorés,
Et soudain, beau d'éclairs, de fracas et de fastes,
Splendidement s'écroule en Niagaras vastes.
L'Eurotas, où l'essaim des cygnes familiers
Mêle sa grâce blanche au vert mat des lauriers,
Sous son ciel clair que raie un vol de gypaète,
Rhythmique et caressant, chante ainsi qu'un poète.
Enfin, Ganga, parmi les hauts palmiers tremblants
Et les rouges padmas, marche à pas fiers et lents
En appareil royal, tandis qu'au loin la foule
Le long des temples va hurlant, vivante houle,
Au claquement massif des cymbales de bois,
Et qu'accroupi, filant ses notes de hautbois,
Du saut de l'antilope agile attendant l'heure,
Le tigre jaune au dos rayé s'étire et pleure.

- Toi, Seine, tu n'as rien. Deux quais, et voilà tout,
Deux quais crasseux, semés de l'un à l'autre bout
D'affreux bouquins moisis et d'une foule insigne
Qui fait dans l'eau des ronds et qui pêche à la ligne.
Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin
Les passants alourdis de sommeil ou de faim,
Et que le couchant met au ciel des taches rouges,
Qu'il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges
Et, s'accoudant au pont de la Cité, devant
Notre-Dame, songer, coeur et cheveux au vent !
Les nuages, chassés par la brise nocturne,
Courent, cuivreux et roux, dans l'azur taciturne.

Sur la tête d'un roi du portail, le soleil,
Au moment de mourir, pose un baiser vermeil.
L'hirondelle s'enfuit à l'approche de l'ombre,
Et l'on voit voleter la chauve-souris sombre.
Tout bruit s'apaise autour. À peine un vague son
Dit que la ville est là qui chante sa chanson,
Qui lèche ses tyrans et qui mord ses victimes ;
Et c'est l'aube des vols, des amours et des crimes.
- Puis, tout à coup, ainsi qu'un ténor effaré
Lançant dans l'air bruni son cri désespéré,
Son cri qui se lamente et se prolonge, et crie,
Éclate en quelque coin l'orgue de Barbarie :
Il brame un de ces airs, romances ou polkas,
Qu'enfants nous tapotions sur nos harmonicas
Et qui font, lents ou vifs, réjouissants ou tristes,
Vibrer l'âme aux proscrits, aux femmes, aux artistes.
C'est écorché, c'est faux, c'est horrible, c'est dur,
Et donnerait la fièvre à Rossini, pour sûr ;
Ces rires sont traînés, ces plaintes sont hachées ;
Sur une clef de sol impossible juchées,
Les notes ont un rhume et les do sont des la,
Mais qu'importe ! l'on pleure en entendant cela !
Mais l'esprit, transporté dans le pays des rêves,
Sent à ces vieux accords couler en lui des sèves ;
La pitié monte au coeur et les larmes aux yeux,
Et l'on voudrait pouvoir goûter la paix des cieux,
Et dans une harmonie étrange et fantastique
Qui tient de la musique et tient de la plastique,
L'âme, les inondant de lumière et de chant,
Mêle les sons de l'orgue aux rayons du couchant !

- Et puis l'orgue s'éloigne, et puis c'est le silence,
Et la nuit terne arrive, et Vénus se balance
Sur une molle nue au fond des cieux obscurs ;

On allume les becs de gaz le long des murs,
Et l'astre et les flambeaux font des zigzags fantasques
Dans le fleuve plus noir que le velours des masques ;
Et le contemplateur sur le haut garde-fou

Par l'air et par les ans rouillé comme un vieux sou
Se penche, en proie aux vents néfastes de l'abîme.
Pensée, espoir serein, ambition sublime,
Tout, jusqu'au souvenir, tout s'envole, tout fuit,
Et l'on est seul avec Paris, l'Onde et la Nuit !


- Sinistre trinité ! De l'ombre dures portes !
Mané - Thécel - Pharès des illusions mortes !
Vous êtes toutes trois, ô Goules de malheur,
Si terribles, que l'Homme, ivre de la douleur
Que lui font en perçant sa chair vos doigts de spectre,
L'Homme, espèce d'Oreste à qui manque une Électre,
Sous la fatalité de votre regard creux
Ne peut rien et va droit au précipice affreux ;
Et vous êtes aussi toutes trois si jalouses
De tuer et d'offrir au grand Ver des épouses
Qu'on ne sait que choisir entre vos trois horreurs,
Et si l'on craindrait moins périr par les terreurs
Des Ténèbres que sous l'Eau sourde, l'Eau profonde,
Ou dans tes bras fardés, Paris, reine du monde !

- Et tu coules toujours, Seine, et, tout en rampant,

Tu traînes dans Paris ton cours de vieux serpent,
De vieux serpent boueux, emportant vers tes havres
Tes cargaisons de bois, de houille, et de cadavres !

Δ

Dans ces temps fabuleux, les limbes de l'histoire,
Où les fils de Raghû, beaux de fard et de gloire,
Vers la Ganga régnaient leur règne étincelant,
Et, par l'intensité de leur vertu troublant
Les Dieux et les Démons et Bhagavat lui-même,
Augustes, s'élevaient jusqu'au Néant suprême,
Ah! la terre et la mer et le ciel, purs encor
Et jeunes, qu'arrosait une lumière d'or
Frémissante, entendaient, apaisant leurs murmures
De tonnerres, de flots heurtés, de moissons mûres,
Et retenant le vol obstiné des essaims,
Les Poètes sacrés chanter les Guerriers saints,
Cependant que le ciel et la mer et la terre
Voyaient — rouges et las de leur travail austère —
S'incliner, pénitents fauves et timorés,
Les Guerriers saints devant les Poètes sacrés!
Une connexité grandiosement calme
Liait le Kchatrya serein eu Chanteur alme,
Valmiki l'excellent à l'excellent Rama :
Telles sur un étang deux touffes de padma.

— Et sous tes cieux dorés et clairs, Hellas antique,
De Sparte la sévère à la rieusse Attique,
Les Aèdes, Orpheus, Alkaïos, étaient
Encore des héros altiers et combattaient.
Homéros, s'il n'a pas, lui, manié le glaive,
Fait retentir, clameur immense qui s'élève,
Vos échos jamais las, vastes postérités,
D'Hektôr et d'Odysseus, et d'Akhilleus chantés.
Les héros à leur tout, après les luttes vastes,
Pieux, sacrifiaient aux neuf Déesses chastes,
Et non moins que de l'art Arès furent épris
De l'Art dont une Palme immortelle est le prix,
Akhilleus entre tous! Et le Laërtiade
Dompta, parole d'or qui charme et persuade,
Les esprits et les coeurs et les âmes toujours,
Ainsi qu'Orpheus domptait les tigres et les ours.
— Plus tard, vers des climats plus rudes, en des ères
Barbares, chez les Francs tumultueux, nos pères,
Est-ce que le Trouvère héroïque n'eut pas
Comme le Preux sa part auguste des combats?
Est-ce que, Théroldus ayant dit Charlemagne,
Et son neveu Roland resté dans la montagne,
Et le bon Olivier de Turpin au grand coeur,
En beaux couplets et sur un rhythme âpre et vainqueur,
Est-ce que, cinquante ans après, dans les batailles,
Les durs Leudes perdant leur sang par vingt entailles,
Ne chantaient pas le chant de geste sans rivaux
De Roland et de ceux qui virent Roncevaux
Et furent de l'énorme et superbe tuerie,
Du temps de L'Empereur à la barbe fleurie?

— Aujourd'hui, l'Action et le Rêve ont brisé
Le pacte primitif par les siècles usé,
Et plusieurs ont trouvé funeste ce divorce
De l'Harmonie immense et bleue et de la Force.
La Force, qu'autrefois le Poète tenait
En bride, blanc cheval ailé qui rayonnait,
La Force, maintenant, la Force, c'est la Bête
Féroce bondissante et folle et toujours prête
A tout carnage, à tout dévastement, à tout
Egorgement, d'un bout du monde à l'autre bout!
L'Action qu'autrefois réglait le chant des lyres,
Trouble, enivrée, en proie aux cent mille délires
Fuligineux d'un siècle en ébullition,
L'Action à présent, — ô pitié! — l'Action,
C'est l'ouragan, c'est la tempête, c'est la houle
Marine dans la nuit sans étoiles, qui roule
Et déroule parmi les bruits sourds l'effroi vert
Et rouge des éclairs sur le ciel entr'ouvert?

— Cependant, orgueilleux et doux, loin des vacarmes
De la vie et du choc désordonné des armes
Mercenaires, voyez, gravissant les hauteurs
Ineffables, voici le groupe des Chanteurs
Vêtus de blanc, et des lueurs d'apothéoses
Empourprent la fierté sereine de leurs poses :
Tous beaux, tous purs, avec des rayons dans les yeux,
Et sous leur front le rêve inachevé des Dieux!
Le monde, que troublait leur parole profonde,
Les exile... A leur tour ils exilent le monde!
C'est qu'ils ont à la fin compris qu'il ne faut plus
Mêler leur note pure aux cris irrésolus
Que va poussant la foule obscène et violente,
Et que l'isolement sied à leur marche lente.
Le Poète, l'Amour du Beau, voilà sa foi,
L'Azur, son étendard, et l'Idéal, sa loi!
Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles,
Où le rayonnement des choses éternelles
A mis des visions qu'il suit avidement,
Ne sauraient s'abaisser une heure seulement
Sur le honteux conflit des besognes vulgaires
Et sur vos vanités plates; et si naguères
On le vit au milieu des hommes, épousant
Leurs querelles, pleurant avec eux, les poussant
Aux guerres, célébrant l'orgueil des Républiques
Et l'éclat militaire et les splendeurs auliques
Sur la kithare, sur la harpe et sur le luth,
S'il honorait parfois le présent d'un salut
Et daignait consentir à ce rôle de prêtre
D'aimer et de bénir, et s'il voulait bien être
La voix qui rit ou pleure alors qu'on pleure ou rit,
S'il inclinait vers l'âme humaine son esprit,
C'est qu'il se méprenait alors sur l'âme humaine.

— Maintenant, va, mon Livre, où le hasard te mène.

Δ

Mille et tre

Mes amants n'appartiennent pas aux classes riches :
Ce sont des ouvriers faubouriens ou ruraux,
Leurs quinze, leurs vingt ans sans apprêts sont mal chiches
De force assez brutale et de procédés gros.

Je les goûte en habits de travail, cotte et veste ;

Cuisses, âmes, mains, tout mon être pêle-mêle,
Mémoire, pieds, coeur, dos et l'oreille et le nez
Et la fressure, tout, gueule une ritournelle,
Et trépigne un chahut dans leurs bras forcenés.

Un chahut, une ritournelle, fol et folle,
Et plutôt divins qu'infernals, plus infernals
Que divins, à m'y perdre, et j'y nage et j'y vole,
Dans leur sueur et leur haleine, dans ces bals

Mes deux Charles: l'un, jeune tigre aux yeux de chatte,
Sorte d'enfant de choeur grandissant en soudard ;
L'autre, fier gaillard, bel effronté que n'épate
Que ma pente vertigineuse vers son dard.

Odilon, un gamin, mais monté comme un homme,
Ses pieds aiment les miens épris de ses orteils
Mieux encor, mais pas plus que de son reste en somme

Adorable drûment, mais ses pieds sans pareils !
Caresseurs, satin frais, délicates phalanges
Sous les plantes, autour des chevilles et sur
La cambrure veineuse et ces baisers étranges
Si doux, de quatre pieds ayant une âme, sûr !

Antoine, encor proverbial quant à la queue,
Lui, mon roi triomphal et mon suprême Dieu,
Taraudant tout mon coeur de sa prunelle bleue,
Et tout mon cul de son épouvantable épieu ;
Paul, un athlète blond aux pectoraux superbes,
Poitrine blanche aux durs boutons sucés ainsi
Que le bon bout. Francois. souple comme des gerbes :
ses jambes de danseur, et beau, son chibre aussi !
Auguste qui se fait de jour en jour plus mâle
(Il était bien joli quand ça nous arriva) ;
Jules, un peu putain avec sa beauté pâle ;
Henri, miraculeux conscrit qui, las ! s'en va ;


Et vous tous, à la file ou confondus, en bande
Ou seuls, vision si nette des jours passés,
Passions du présent, futur qui croît et bande,
Chéris sans nombre qui n'êtes jamais assez !

  Δ

Mille et tre.

Meus amantes não são nobres nem abastados:
Rurais já tive alguns, o resto são operários,
Idade: quinze a vinte anos mal amamanhados,
De força assaz brutal e modos ordinários.

Saboreio-os no seu fato azul de cotim;

Não cheiram muito bem, mas respiram saúde;
Num passo algo pesado, e lesto, mesmo assim,
Pois jovens são, um passo elástico e rude;
De malícia crepita um franco olhar de gozo,

E a frase, qu'é não só ingénua, mas sagaz,
Lhes sai - e juntamente um palavrão gostoso -
Da fresca boca em sólidos beijos voraz.
O seu pau vigoroso, e o rabo prazenteiro

Meu cu e meu caralho à noite sempre excitam;
Suas carnes - de dia ou sob o candeeiro -
Meu lasso, mas tenaz, desejo rescussitam.
Nádegas, alma, mãos, meu ser todo em roldão,

Dorso, memória, pés, peito, nariz, olrelha
E a fressura, tudo entoa uma canção
E uma roda viva em mim se destrambelha.

Canção, dança de roda, ambas uma demência
Mais qu'infernal, divina, ou vice-versa, enfim,
Onde voo e mergulho, e numa turbulência,
No bafo e suor seus já me perco em mim.

Meus dois Charles, um, jovem, tigre, olhar de gata,
Rosto quase infantil e corpanzil de hussardo;
O outro, um mocetão, só descarado acata
O meu rego a correr, bem fundo, pró seu dardo.

Odilon, um catraio, homem na compleição,
Seus pés amam os meus, que dos dele por sinal
Mais presos estão, mas mais do que o restante, não.

Tudo adorável é, mas os pés sem igual!...
Meigos, fresco cetim, dedos delicadíssimos
Sob a planta do pé e plos artelhos vêm,
Té ao peito arqueado, em beijos estranhíssimos,
Doces, de quatro pés q'alma por certo têm!

Antoine, ilustre já pla sua enorme piça,
Ele, meu supremo Deus e meu rei Salomão,
Com a pupila azul meu coração atiça
E verruma o meu cu com seu mortal espigão.
Paul, esse atleta loiro, uns peitorais sublimes,
Peit'alvo, com botões duros qu'eu sugo, além
Doutra ponta; François, flexivel como vimes,
Pernas de bailarino, um bom malho também!
Auguste, que se faz mais macho dia a dia
(Bem bonito era ele quando quis ser dos meus);
Um tanto puta, Jules, o da beleza fria;
D'Henri gosto, mas quê? vendo um magala, adeus!

E vós todos - em fila, ou grupo irrequieto,
Ou sozinhos - visão clara dos dias idos,
do presente paixão, porvir qu'aponta, erecto,
Nunca sereis demais, meus já milhentos queridos

[Versió de Luiza Neto Jorge]

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