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[Esther Cohen-Bacri]

 

Le tigre
[
El tigre]

Le tigre
Les lumières sont en fête et les rires joyeux.
Cris de frisson sans peur et paroles d'enfants.
Les jongleurs sont passés, les trapézistes aussi,
suivis du gros nez rouge et d'un faux triste en blanc.

Cacahouettes et entracte et la cage est montée.
L'homme au frac élégant s'avance sous la rampe,
son habit est sans tache, son regard vaniteux.
A travers un passage étriqué et trop bas,
le fauve vient ensuite.

L'échine des voyeurs se refroidit un peu.
L'animal est superbe, son pelage est brillant,
ses crocs sont acérés, ses yeux semblent dorés.
Le fouet de l'homme claque, le felin grogne un peu,
ses muscles sont bandés.

Le tigre tente de fuir d'un tabouret à l'autre,
sous les ordres du fouet, il ne veut pas jouer.
Il voudrait se coucher, il voudrait l'égorger.
La chair de cet homme doit être répugnante.
Qu'il le laisse donc en paix!

L'homme s'incline un peu, la salle l'applaudit.
Cette bête cruelle comme il la dresse bien.
Le cerceau est en feu, le tigre se refuse,
essaie de griffer, voudrait assassiner.
L'homme brûle sa patte.

Il traverse le cercle sous les applaudissements,
son coeur lui fait si mal, il lèche un peu ses plaies.
Il prie dessous le fouet qui l'envoie à la niche,
pour un jour s'habituer et devenir docile.

  Δ

El tigre

Las luces están de fiesta, las risas alegres.
Gritos de escalofrío sin miedo y palabras de niños.
Los malabaristas han pasado, los trapecistas también,
seguidos de la gran nariz roja y del falso triste de blanco.

Cacahuetes y entreacto; la jaula está montada.
El hombre de frac elegante avanza bajo las candilejas,
su traje inmaculado, su mirada vanidosa.
A través de un pasaje angosto y demasiado bajo,
la fiera viene después.

Los mirones se estremecen un poco.
El animal es soberbio, su pelaje brillante,
sus colmillos acerados, sus ojos parecen dorados.
El látigo del hombre chasquea, el felino gruñe un poco,
sus músculos están tensos.

El tigre intenta huir de un taburete a otro,
bajo las órdenes del látigo no quiere jugar.
Quisiera tumbarse, quisiera degollarle.
La carne de este hombre debe de ser repugnante.
¡Que le deje en paz!

El hombre se inclina un poco, la sala le aplaude.
Esa bestia cruel, qué bien la amaestra.
El aro está ardiendo, el tigre se niega,
intenta un zarpazo, quisiera asesinar.
El hombre quema su pata.

Atraviesa el círculo bajo los aplausos,
su corazón le duele tanto, lame un poco sus llagas.
Reza bajo el látigo que al rincón le envía
para un día acostumbrarse y volverse dócil.

Δ

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